Dénoncer une entente en demandant la clémence de l'Autorité

Une entreprise peut dénoncer une entente anticoncurrentielle, à laquelle elle a participé ou participe encore, et demander la clémence de l’Autorité de la concurrence. La clémence permet à l’entreprise qui dénonce une entente de bénéficier d’une immunité ou d’une réduction de l’amende à laquelle elle s’expose en raison de l’entente.

Le programme de clémence vise en effet à déstabiliser les ententes, en particulier les cartels, en créant une « course à la clémence » entre les entreprises, que ce soit durant l’existence de l’entente ou après sa dissolution. Les participants à un cartel courent ainsi en permanence le risque d’être démasqués.

Lorsque plusieurs entreprises dénoncent la même entente auprès de l’Autorité de la concurrence, leur rang d’arrivée est primordial.
La première entreprise à dénoncer l’entente peut, si elle fournit les éléments de preuve nécessaires permettant de procéder à une inspection ou de constater une violation, obtenir une immunité totale vis-à-vis de l’amende qui aurait dû lui être infligée.
Les entreprises suivantes peuvent, en fonction de leur rang d’arrivée et de la valeur ajoutée des éléments de preuves fournis, bénéficier d’une réduction d’amende.

Les articles 51 à 56 de la loi relative à la concurrence précisent dans quelles conditions l’Autorité peut accorder la clémence à une entreprise.

NB : la demande de clémence ne vaut que devant l’autorité de concurrence auprès de laquelle elle est demandée.

Si l’entente concerne plusieurs Etats membres, l’entreprise doit donc adresser une demande à chaque autorité de concurrence compétente.

Toutefois, si au moins trois Etats membres différents sont concernés, elle peut adresser une demande complète à la Commission européenne et des demandes sommaires aux autorités nationales respectives.

 

Qui est concerné ?

Toute entreprise (personne physique ou morale, y compris de droit public) qui participe ou a participé à une entente anticoncurrentielle peut, si elle dénonce l’entente en apportant des preuves suffisantes de son existence, demander à bénéficier du programme de clémence de l’Autorité de la concurrence.

L’Autorité de la concurrence peut appliquer le programme de clémence à tout type d’entente, qu’il s’agisse d’ententes secrètes (cartels) ou non secrètes conclues :

  • entre entreprises concurrentes (ententes horizontales) ; ou
  • entre entreprises non-concurrentes (ententes verticales, ex. : fournisseur/distributeur).

NB : le programme de clémence s’applique uniquement aux ententes. Il ne s’applique pas aux abus de position dominante.

Quels sont les prérequis ?

L’entreprise qui souhaite bénéficier du programme de clémence doit respecter :

Conditions générales pour bénéficier de la clémence

Pour bénéficier de la clémence de l’Autorité de concurrence le demandeur doit remplir les conditions cumulatives suivantes (article 53 de la loi) :

1.       il a mis fin à sa participation à l’entente présumée au plus tard immédiatement après avoir déposé sa demande de clémence (sauf avis express de l’Autorité pour les besoins de l’enquête) ;

2.       il coopère véritablement, pleinement, constamment et rapidement avec l’Autorité dès le dépôt de sa demande et jusqu’à la clôture de la procédure par l’Autorité, c’est-à-dire :

  • il fournit sans délai tous les renseignements et éléments de preuve pertinents en sa possession ou auxquels il peut avoir accès, en particulier :
    • son nom et adresse ;
    • les noms de toutes les autres entreprises qui participent ou ont participé à l’entente présumée ;
    • une description détaillée de l’entente présumée, y compris les produits et les territoires concernés, la durée et la nature de l’entente présumée ; 
    • des renseignements sur tout autre demande de clémence présentée par le passé ou susceptible d’être présentée à l’avenir à toutes autres autorités de concurrence au sujet de l’entente présumée ;
  • il se tient à la disposition de l’Autorité pour répondre à toute question pouvant contribuer à établir les faits ;
  • il met à disposition de l’Autorité les directeurs, les gérants et les autres membres du personnel en vue d’entretiens et fait des efforts raisonnables pour mettre les anciens directeurs, gérants et autres membres du personnel à disposition de l’Autorité en vue d’entretiens ;
  • il s’abstient de détruire, de falsifier ou de dissimuler des informations ou des preuves pertinentes ; et
  • il s’abstient de divulguer l’existence ou la teneur de sa demande de clémence avant que l’Autorité n’ait émis des griefs dans le cadre de la procédure de mise en œuvre dont elle est saisie, sauf s’il en a été convenu autrement ;

3.       au cours de la période où il envisage de déposer une demande de clémence auprès de l’Autorité, il ne peut avoir :

  • détruit, falsifié ou dissimulé des preuves de l’entente présumée ;
  • divulgué son intention de présenter une demande ni la teneur de celle-ci, sauf à d’autres autorités de concurrence.
Conditions spécifiques pour obtenir l'immunité d'amende (clémence de type 1)

L’entreprise peut bénéficier de l’immunité d’amende (article 51 de la loi) dans deux situations distinctes :

  • si sa coopération permet une inspection ciblée (clémence de type 1A) ; ou
  • si sa coopération permet de constater une violation (clémence de type 1B) .

Clémence de type 1A permettant une inspection ciblée

Dans la première situation le demandeur de clémence doit :

1.       révéler sa participation à une entente ;

2.       être le premier à fournir des preuves qui, au moment où l’Autorité reçoit la demande, lui permettent de procéder à une inspection ciblée en rapport avec l’entente, à condition :

  • que l’Autorité n’ait pas déjà en sa possession des preuves suffisantes lui permettant de procéder à une telle inspection ; ou
  • que l’Autorité n’ait pas déjà procédé à une telle inspection.

Clémence de type 1B permettant de constater une violation

Dans la seconde situation, le demandeur de clémence doit :

1.       révéler sa participation à une entente ;

2.       être le premier à fournir des preuves qui, de l’avis de l’Autorité, sont suffisantes pour lui permettre de constater une violation relevant du programme de clémence, pour autant que :

  • l’Autorité n’ait pas déjà en sa possession des preuves suffisantes lui permettant de constater une telle violation ; et
  • qu’aucune autre entreprise n’ait déjà rempli les conditions pour bénéficier d’une clémence de type 1A pour cette entente.

NB : l’immunité d’amende ne peut en aucun cas être accordée à une entreprise qui a pris des mesures pour contraindre une ou plusieurs autres entreprises à rejoindre une entente ou à continuer à en faire partie. Cette entreprise peut toutefois prétendre à la réduction d’amende.

Conditions spécifiques pour obtenir une réduction d'amende (clémence de type 2)

L’entreprise qui ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’une immunité d’amende peut bénéficier d’une réduction d’amende (article 52 de la loi) à condition de :

1.       révéler sa participation à une entente ;

2.       fournir, avant notification de la communication des griefs, des preuves de l’entente présumée présentant une valeur ajoutée significative pour établir l’existence d’une entente, par rapport aux éléments de preuve déjà en la possession de l’Autorité au moment de la demande.

NB : le simple fait de dénoncer une entente ou d’avouer sa participation sans apporter d’informations concrètes ne suffit pas à bénéficier d’une réduction d’amende. L’appréciation de la valeur ajoutée des informations se fait par rapport aux informations qui sont déjà à disposition de l’Autorité lors de leur communication par l’entreprise.

Qu’est-ce que l’immunité partielle d’amende ?

Une entreprise présentant une demande de clémence en vue d’obtenir une réduction d’amende peut également bénéficier d’une immunité partielle d’amende. Ce dispositif a pour but d’inciter les entreprises à coopérer pleinement, y compris lorsqu’elles ne sont pas éligibles à une immunité (totale) d’amende par la voie d’une clémence de type 1A ou 1B.

L’immunité partielle permet en effet de protéger, dans certaines conditions, une entreprise contre une augmentation de l’amende qui résulterait de la communication d’éléments de preuve ayant un impact sur l’appréciation par l’Autorité de la durée ou la gravité de l’entente.

Pour bénéficier d’une immunité partielle à l’égard de facteurs d’augmentation de l’amende, le demandeur de clémence doit remplir les conditions pour bénéficier d’une réduction d’amende et les conditions suivantes :

  • être le premier à présenter à l’Autorité des éléments de preuve relatifs à ces facteurs d’augmentation ;
  • les éléments de preuve présentés doivent être incontestables, ce qui signifie qu’ils doivent permettre, à eux seuls, à l’Autorité de démontrer de manière adéquate les faits allégués ;
  • les éléments de preuve présentés doivent se rapporter à des faits supplémentaires par rapport à ceux déjà connus par l’Autorité au moment de leur communication ;
  • les faits supplémentaires allégués doivent avoir pour effet de renforcer la gravité ou la durée de l’entente en cause, ce qui signifie qu’ils doivent modifier l’appréciation par l’Autorité de sa portée matérielle (produits concernés, territoires concernés, etc.) ou temporelle.

Lorsqu’un demandeur de clémence remplit les conditions qui précèdent, c’est-à-dire qu’il apporte des preuves incontestables que l’Autorité utilise pour établir des faits supplémentaires conduisant à une augmentation des amendes par rapport à celles qui auraient été infligées aux participants à l’entente en l’absence de ces preuves, l’Autorité ne tient pas compte de ces faits supplémentaires pour fixer le montant de l’amende infligée au demandeur qui a fourni ces preuves.

Demander la clémence de l'Autorité

Le premier contact formel revêt une importance capitale, car il permet à l’entreprise d’assurer son rang d’arrivée pour le cas où plusieurs entreprises devaient entreprendre une démarche de clémence par rapport à la même entente. Ce premier contact peut prendre la forme :

  • d’une demande de marqueur ; ou
  • d’une demande de clémence.

 

Contacts téléphoniques informels

Une entreprise ou son conseil peut, au préalable, s’adresser à la personne de contact de l’Autorité, par téléphone et anonymement, afin d’obtenir des informations générales sur la mise en œuvre de la procédure de clémence. Ces échanges informels ne permettent pas de sécuriser un rang d’ordre à l’éventuelle demande de clémence qui pourra suivre ces contacts informels.

Demandeur de marqueur

L’entreprise qui souhaite solliciter une immunité ou une réduction d’amende peut, dans un premier temps, demander l’octroi d’un marqueur qui détermine et protège la place dans l’ordre d’arrivée en vue de l’octroi de la clémence, pendant un délai fixé au cas par cas par l’Autorité.

Ce délai permet au demandeur de rassembler les informations et éléments de preuve nécessaires pour atteindre le niveau de preuve requis pour l’immunité ou la réduction d’amendes.

L’entreprise effectuant une demande de marqueur préalable à une demande de clémence doit, lors de ce premier contact, fournir les renseignements suivants lorsqu’ils sont disponibles :

  • le nom et l’adresse du demandeur ;
  • les circonstances ayant conduit à l’introduction de la demande ;
  • les noms de toutes les autres entreprises qui participent ou ont participé à l’entente présumée ;
  • les produits et les territoires concernés ;
  • la durée et la nature de l’entente présumée ;
  • des renseignements sur toute autre demande de clémence présentée par le passé ou susceptible d’être présentée à l’avenir à toute autre autorité de concurrence ou autorité de concurrence de pays tiers au sujet de l’entente présumée.

L’Autorité accorde le marqueur demandé si elle l’estime justifié. Le cas échéant, l’entreprise reçoit un accusé de réception précisant la date et l’heure de la démarche initiale, ainsi que le délai dans lequel elle doit compléter sa demande en fournissant les informations et les éléments de preuve attendus. Toute information et tout élément de preuve fournis par la suite par le demandeur dans ce délai sont considérés comme ayant été communiqués à la date de la demande initiale.

Demande de clémence

L’entreprise doit en principe adresser sa demande de clémence par écrit à l’attention de la personne de contact de l’Autorité :

  • soit en mains propres dans les locaux de l’Autorité ;
  • soit par courrier recommandé avec accusé de réception.

Alternativement, à condition que cela soit justifié et proportionné, l’entreprise peut demander à faire enregistrer sa demande oralement dans les locaux de l’Autorité.

Si le demandeur a connaissance d’une saisine préexistante de l’Autorité concernant la même entente, il présente sa demande directement au conseiller instructeur en charge du dossier.

Lors du dépôt d’une demande de clémence, l’entreprise transmet à l’Autorité :

  • le nom et l’adresse du demandeur ;
  • les circonstances ayant conduit à l’introduction de la demande ;
  • les noms de toutes les autres entreprises qui participent ou ont participé à l’entente présumée ;
  • les produits et les territoires concernés ;
  • la durée et la nature de l’entente présumée ;
  • les renseignements sur toute autre demande de clémence présentée par le passé ou susceptible d’être présentée à l’avenir à toute autre autorité de concurrence ou autorité de concurrence de pays tiers au sujet de l’entente présumée ;
  • les informations et éléments de preuve qu’elle estime être de nature à fonder sa demande de clémence.
Demande de clémence dans plusieurs états membres

Il n’existe pas de système qui permette de solliciter la clémence auprès d’une autorité et de la voir étendue par la suite à d’autres autorités. Le demandeur de clémence qui souhaite dénoncer une entente affectant des marchés dans plusieurs Etats membres doit donc s’adresser à chaque autorité de concurrence nationale concernée et/ou à la Commission européenne afin d’assurer son rang dans les différentes procédures de clémence.

Néanmoins, lorsque plus de trois territoires d’Etats membres sont concernés, l’entreprise peut avoir recours au système des demandes sommaires du Réseau européen de la Concurrence (REC).

L’Autorité de la concurrence ne peut pas transmettre une demande de clémence à une autre autorité, mais elle se tient à la disposition des entreprises pour les informer sur ces démarches.

Le système de demandes sommaires au sein du Réseau européen de la concurrence

Le système des demandes sommaires vise simplifier les procédures de demandes de clémence multiples lorsque plus de trois territoires d’Etats membres sont concernés par l’entente dénoncée (marchés transfrontaliers couvrant plus de trois États membres ou plusieurs marchés nationaux).

Dans ce cas, le demandeur de clémence peut déposer une demande complète devant la Commission européenne et des demandes sommaires devant les autorités des États membres concernés.

Après dépôt de la demande de clémence auprès de la Commission européenne, l’entreprise peut adresser sa demande sommaire auprès de l’Autorité de la concurrence :

  • par écrit ou par déclaration orale dans les locaux de l’Autorité ; ou
  • par lettre recommandée avec accusé de réception.

La demande doit comporter une brève description des éléments suivants :

  • le nom et l’adresse de l’entreprise demanderesse ;
  • les circonstances ayant conduit à l’introduction de la demande ;
  • les noms de toutes les autres entreprises qui participent ou ont participé à l’entente présumée ;
  • les produits et les territoires concernés ;
  • la durée et la nature de l’entente présumée ;
  • des renseignements sur toute autre demande de clémence présentée par le passé ou susceptible d’être présentée à l’avenir à toute autre autorité de concurrence ou autorité de concurrence de pays tiers au sujet de l’entente présumée.

L’Autorité accuse réception de la demande en précisant à l’entreprise :

  • le marqueur de demande sommaire mentionnant la date et l'heure de la réception ;
  • le délai imparti pour compléter sa demande sommaire dans le cas où la Commission européenne a informé l’Autorité qu’elle n’a pas l’intention d’instruire l’affaire.

L’Autorité informe par ailleurs le demandeur si :

  • son entreprise est la première à lui avoir présenté une demande sommaire relative à l’entente en question ; et
  • que sa demande sommaire répond, à priori, aux exigences ci-dessus. 

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