Les plateformes en ligne jouent un rôle crucial pour des millions d’entreprises prospères. Leur position d’intermédiaires entre entreprises et consommateurs comporte néanmoins un risque de pratiques commerciales préjudiciables, contre lesquelles les entreprises n’ont pas de recours effectif.
Le règlement (UE) 2019/1150 sur les relations entre plateformes et entreprises (dit "Platform to Business" ou "P2B") vise donc à créer un environnement commercial équitable, transparent et prévisible pour les entreprises et les professionnels sur les plateformes en ligne.
Les fournisseurs de plateformes en ligne (dites "services d’intermédiation" comme par exemple les "market places") doivent ainsi respecter certaines obligations concernant leurs conditions générales et leurs pratiques commerciales.
Les fournisseurs de moteurs de recherche en ligne doivent également respecter certaines de ces obligations.
Dans ce cadre, l’Autorité de la concurrence assure la défense des intérêts collectifs des entreprises ou des utilisateurs de sites internet d’entreprise (Article 8 de la loi relative à la concurrence).
Les entreprises ou utilisateurs de sites internet d’entreprise qui s’estiment lésés par une pratique interdite par la loi peuvent introduire une action en cessation auprès de l’Autorité de la concurrence.
L’Autorité de la concurrence peut agir devant les juridictions luxembourgeoises et introduire une action en cessation devant le tribunal d’arrondissement en vue de faire cesser ou d’interdire tout manquement au règlement de la part de fournisseurs de plateformes ou de moteurs de recherche en ligne.
Qui est concerné ?
Les obligations liées au règlement P2B s’appliquent :
- aux fournisseurs de "services d’intermédiation", c’est-à-dire aux plateformes en ligne qui proposent des services :
- normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services (Article 1er, paragraphe 1, point b) de la directive (UE) 2015/1535) ;
- permettant aux entreprises utilisatrices d’offrir des biens ou services aux consommateurs, pour faciliter l’initiation de transactions directes entre entreprises et consommateurs (qu’elles soient finalement conclues ou non, en ligne ou hors ligne) ; et
- sur base de relations contractuelles entre le fournisseur des services et les entreprises utilisatrices ;
- aux fournisseurs de moteurs de recherche en ligne (pour ce qui concerne certaines obligations précisées plus bas).
Le règlement P2B peut donc notamment s’appliquer aux plateformes en ligne permettant aux entreprises d’offrir des services :
- de livraison de nourriture ;
- de réservation d’hébergement touristique ;
- de divertissement ;
- de téléchargement d’applications mobiles ;
- ou aux médias sociaux.
Par contre, le règlement P2B ne concerne pas les plateformes en ligne :
- de biens ou services en "peer-to-peer" (P2P - exclusivement entre acheteurs et vendeurs non-professionnels ;
- de biens ou services "business-to-business" (B2B - exclusivement entre professionnels) ;
- d’activités de publicité (qui mettent en relation les sociétés d’édition et les agences de publicité tels que les bourses d'annonce) qui ne sont pas fournis dans le but de faciliter l'initiation de transactions directes et qui n'impliquent pas de relation contractuelle avec les consommateurs et ;
- de services de paiement en ligne.
Les fournisseurs de plateformes en ligne ou de moteurs de recherche doivent respecter les obligations de la directive P2B vis-à-vis de :
- toute entreprise utilisatrice (personne morale ou particulier dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle) établie dans l’UE qui :
- offre des biens ou services aux consommateurs situés dans l’UE ;
- par le biais de services d’intermédiation en ligne (plateformes en ligne).
Territorialement, la portée du règlement se limite aux services proposés ou fournis aux entreprises utilisatrices établies dans l’UE qui proposent des biens ou services à des consommateurs situés dans l’Union (qu’ils soient citoyens/résidents de l’UE ou non).
Ex. : un fournisseur de commerce en ligne, basé et géré au Royaume Uni offre à des entreprises utilisatrices établies dans l’UE de vendre leurs produits sur sa plateforme en ligne. Le site est disponible en anglais, français et allemand, les paiements peuvent être effectués en euros et la livraison est possible par voie postale vers la France, la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne.
Dans ce cas, le fournisseur est soumis aux obligations de la directive P2B.
Obligations quant aux conditions générales
Les fournisseurs de plateformes en ligne ("services d’intermédiation") doivent veiller à ce que les conditions générales qu’ils fixent unilatéralement répondent à certains critères de forme, d’accessibilité et de contenu. La notion de transparence joue un rôle crucial dans la rédaction des conditions générales pour assurer la prévisibilité des relations commerciales entre l’entreprise utilisatrice et le fournisseur.
Forme et accessibilité des conditions générales
Les fournisseurs de plateformes en ligne doivent veiller à ce que leurs conditions générales soient:
- rédigées de manière claire et compréhensible, et
- facilement accessibles aux entreprises utilisatrices (ou qui envisagent de le devenir) à toutes les étapes de leur relation commerciale.
Pour satisfaire à ces exigences, le fournisseur peut par exemple présenter les conditions générales :
- en indiquant chaque sujet traité sur une page principale ;
- en les publiant en entier sans les fragmenter ; et
- en détaillant et spécifiant plus particulièrement les questions commerciales importantes.
Contenu des conditions générales
Les fournisseurs de plateformes en ligne et de moteurs de recherche doivent veiller à ce que leurs conditions générales indiquent :
- des informations sur tout canal de distribution supplémentaire ou tout programme affilié potentiel au travers duquel les biens et services proposés par les entreprises utilisatrices pourraient aussi être proposés (Art. 3) ;
- des informations concernant les effets des conditions générales sur la propriété et le contrôle des droits de propriété intellectuelle des entreprises utilisatrices (Art. 3) ;
- des informations sur les conditions auxquelles les entreprises utilisatrices peuvent mettre fin à la relation contractuelle avec le fournisseur de services d’intermédiation en ligne (Art. 8) ;
- une description de l’accès technique et contractuel, ou de l’absence d’un tel accès, aux informations transmises ou produites par l’entreprise utilisatrice qu’ils conservent après l’expiration du contrat entre le fournisseur de la plateforme et l’entreprise utilisatrice (Art. 8) ;
- une description du type de biens et services accessoires qui peuvent être proposés au consommateur sur la plateforme, par le fournisseur ou par des tiers, avant la réalisation d’une transaction ainsi que les conditions dans lesquelles l’entreprise utilisatrice peut également y proposer ses propres biens et services accessoires ;
Exemple de biens et services accessoires : autres articles liés, services de réparation, services de paiement en plusieurs fois, extension de garantie, etc.; - une description de tout traitement différencié potentiellement accordé à l’un ou l’autre bien ou service proposé sur la plateforme ou le moteur de recherche par le fournisseur lui-même ou les utilisateurs professionnels qu’il contrôle par rapport aux autres utilisateurs professionnels (Art. 7). Ces descriptions indiquent notamment :
- l’accès de chaque partie aux données personnelles ou autres fournies par les entreprises, les utilisateurs ou les consommateurs ;
- les paramètres de classement sur la plateforme ;
- toute rémunération perçue pour l’utilisation de la plateforme ou du moteur de recherche ;
- l’accès aux services, fonctionnalité ou interfaces techniques accessoires associées à la plateforme ou au moteur de recherche (exemple : application de paiement en ligne) avec leurs conditions d’utilisation et de rémunération (Art. 7) ;
- une description des modalités techniques et contractuelles d’accès pour les entreprises utilisatrices aux données personnelles ou autres :
- transmises par les entreprises utilisatrices ou les consommateurs ;
- ou produites par la plateforme dans la cadre de la fourniture des services.
Ces informations sur les modalités d’accès doivent être facilement accessibles tant pour les utilisateurs professionnels (potentiels) que pour le grand public (Art. 9) ;
- s’il y a lieu, les motifs (juridiques, économiques ou commerciaux) de nature à justifier toute restriction de la capacité des utilisateurs professionnels à proposer leurs biens ou services à des conditions différentes par l’intermédiaire d’autres canaux. De telles clauses sont également connues sous le nom de « clauses de parité » ou "Most favored nation clause" ou "MFN clause" (Art. 10) ;
- des informations relatives à l’accès et au fonctionnement du système interne de traitement des plaintes ainsi que deux ou plusieurs médiateurs vers qui les entreprises utilisatrices peuvent se tourner pour tenter de résoudre tout litige avec le fournisseur de la plateforme en ligne concerné. (Art. 12).
Modification des conditions générales
Si un fournisseur souhaite modifier ses conditions générales, il doit en informer les entreprises utilisatrices en respectant un délai de préavis raisonnable d’au moins 15 jours avant d’appliquer ces changements, sauf en cas :
- d’obligation légale particulière ; ou
- de dangers imprévus et imminents liés à la fraude, des logiciels malveillants, des spams, des violations de données ou d’autres risques en matière de cybersécurité.
Une modification qui ne respecterait pas cette obligation serait considérée comme nulle et non avenue.
Le fournisseur doit accorder un délai plus long s’il est nécessaire pour permettre aux entreprises d’effectuer les adaptations techniques et commerciales exigées (Art. 3 (2)).
Les fournisseurs ne doivent pas imposer de changements rétroactifs à leurs conditions générales, sauf :
- s’ils sont tenus de respecter une obligation légale ou réglementaire ; ou
- lorsque les changements rétroactifs présentent un avantage pour les entreprises utilisatrices.
Le fournisseur doit octroyer un droit de résiliation à ses utilisateurs professionnels et indiquer s’il maintient ou non un accès aux données des entreprises utilisatrices une fois que leur contrat est résilié (Art. 8).
Obligations d'affichage et de transparence
Visibilité de l’entreprise utilisatrice
L’identité de l’entreprise utilisatrice fournissant les biens ou services doit être bien visible (Art. 3 (5)).
Classement des biens et services
Le fournisseur rend prévisibles et décrit les paramètres de classement selon les caractéristiques des biens et services proposés aux consommateurs, la pertinence des caractéristiques pour les consommateurs et, le cas échéant, les caractéristiques de conception du site internet utilisé par les utilisateurs de sites internet d’entreprises.
Les fournisseurs indiquent donc :
- les principaux paramètres déterminant le classement et l’importance relative de ces principaux paramètres par rapport aux autres paramètres :
- en ce qui concerne les fournisseurs de plateformes en ligne : dans leurs conditions générales en précisant les raisons justifiant l’importance relative de ces paramètres ;
- en ce qui concerne les fournisseurs de moteurs de recherche en ligne : sur leurs moteurs de recherche avec une description facilement et publiquement accessible, claire, compréhensible et à jour ;
- une description détaillée des possibilités et effets sur le classement lorsqu’il est possible de l’influencer contre paiement direct ou indirect ;
- des informations concernant tout traitement différencié conduisant ou pouvant conduire à l’octroi de privilèges ou d’avantages au fournisseur de services par rapport aux autres utilisateurs des services ;
- les modalités de consultation du contenu d’un éventuel signalement émanant d’un tiers suite auquel un moteur de recherche aurait modifié le classement ou déréférencé un site internet particulier.
Les lignes directrices concernant la transparence en matière de classement de la Commission européenne fournissent plus de détails sur les exigences correspondantes.
Consultation des signalements
Si un fournisseur de moteurs de recherche en ligne a modifié l’ordre de classement ou déréférencé un site internet à la suite de signalements, il doit permettre aux utilisateurs de site internet d’entreprise concernés de consulter le contenu de ces signalements (Art. 5).
Restriction, suspension et résiliation
S’il décide de restreindre ou suspendre la fourniture de ses services à une entreprise utilisatrice, le fournisseur doit :
- transmettre à l’entreprise les motifs menant à cette décision sur un support durable ;
- soit avant, soit au moment de la prise d’effet de la restriction ou suspension.
S’il décide de résilier totalement les services, le fournisseur doit :
- pour préserver la proportionnalité de la mesure, ne déréférencer que les biens ou services concernés (si techniquement raisonnable et faisable) ;
- transmettre à l’entreprise les motifs menant à cette décision sur un support durable en respectant un préavis de 30 jours (sauf exceptions).
Ce préavis ne s’applique pas lorsque (Article 4, considérant 23) :- une disposition légale ou réglementaire le prévoit ;
- la résiliation répond à une raison impérative prévue par le droit national ou de l’UE (ex : risques liés à la sécurité des biens et services, contrefaçon, fraude, logiciels malveillants, spams, violation des données, etc.) ; ou
- l’entreprise utilisatrice a enfreint à plusieurs reprises les conditions générales applicables.
Dans le cadre du système interne de traitement des plaintes, le fournisseur doit offrir la possibilité à l’entreprise utilisatrice de clarifier les faits et les circonstances ayant mené à cette décision.
Si la décision est révoquée, l’entreprise utilisatrice doit être réintégrée au plus vite et obtenir l’accès aux données à caractère personnel et aux autres données qui découlaient de l’utilisation des services avant la mise en œuvre de la décision.
Système interne de traitement de plaintes
Les fournisseurs de plateformes en ligne qui emploient plus de 50 personnes ou dont le chiffre d’affaires annuel atteint plus de 10 millions d’euros ont l’obligation de mettre en place et de gérer un système interne de traitement des plaintes émanant des utilisateurs professionnels. Ce système doit être mis à disposition gratuitement, être facilement accessible et garantir des délais de traitement raisonnables.
Les fournisseurs de plateformes en ligne ont l’obligation de mettre à la disposition des entreprises utilisatrices qui le demandent des informations sur le fonctionnement et l’efficacité de leurs systèmes internes de gestion des plaintes (Art. 11).