Le Conseil de la concurrence classe sans suites une procédure engagée à l’encontre d’Utopia S.A. pour abus de position dominante.
En date du 4 mars 2015, le Conseil a été saisi d’une plainte déposée par une entreprise, sur base de laquelle le conseiller chargé de l’enquête a retenu comme principal grief la reprise en avril 2013 par Utopia de son plus proche concurrent, le CinéBelval situé à Esch-sur-Alzette.
Utopia est le principal acteur sur le marché de l’exploitation de complexes cinématographiques au Luxembourg. Ce marché est un marché particulier, distinct des méthodes alternatives de diffusion d’œuvres telles que les DVD, la Video on demand ou encore les plateformes de streaming. Il ressort en outre de l’enquête menée par le Conseil qu’une visite au cinéma est largement envisagée par le public comme étant une sortie culturelle qu’il faut distinguer du visionnage d’un film à domicile. Par ailleurs, en raison du multilinguisme au Grand-Duché, l’offre proposée par Utopia diffère sensiblement de celle de nos voisins allemands, belges et français, notamment en ce qui concerne la langue de diffusion ou encore les sous-titres proposés. Pour évaluer la position d’Utopia sur le marché, le Conseil a défini ce marché comme état celui de l’exploitation de complexes cinématographiques au niveau national et local.
Avant la reprise de CinéBelval, Utopia disposait d’ores et déjà d’une position dominante sur ce marché. CinéBelval, situé à Esch-sur-Alzette, était le seul complexe de cinémas à même de concurrencer Utopia en raison de sa capacité d’accueil et de son implantation. La reprise opérée en 2013 a sensiblement renforcé la position dominante d’Utopia, qui se retrouve désormais en situation de quasi-monopole.
La question s’est posée si les instruments juridiques en sa possession permettent au Conseil de se prononcer sur la validité d’une opération de concentration telle que la reprise d’une entreprise concurrente.
Avant la mise en œuvre de la législation relative au contrôle des concentrations au niveau communautaire, la Commission européenne, appuyée par la Cour de justice de l’UE, a pu justifier sa compétence pour considérer de telles opérations comme abus de position dominante dès lors que ces opérations de concentrations renforçaient sensiblement une position dominante préexistante. Il s’avère que cette jurisprudence ainsi dégagée est toujours d’application de nos jours, bien que son utilisation soit tout à fait rare en raison de l’adoption subséquente par l’UE et les autres Etats membres de règles spéciales en matière de contrôle des concentrations.
Pour que l’abus de position dominante soit caractérisé, il faut cependant que le comportement incriminé ait produit des effets anticoncurrentiels sur le marché. L’enquête du Conseil a montré que CinéBelval était une entreprise fragilisée qui aurait probablement disparu du marché en l’absence de reprise par Utopia. Aussi, cette reprise n’est pas la cause première des problèmes de concurrence observés sur le marché en cause. L’origine de ces problèmes de concurrence est au contraire à chercher dans la disparition probable de l’ancien exploitant dont les parts de marché seraient en tout état de cause revenues à Utopia. Par voie de conséquence, le Conseil a conclu qu’aucune infraction ne saurait être retenue à l’encontre d’Utopia.
Il convient par ailleurs de préciser que la reprise de CinéBelval par Utopia a eu des effets positifs sur le marché en s’inscrivant dans les objectifs suivis par les traités européens. La sauvegarde des emplois ainsi que le maintien dans le Sud du Grand-Duché d’un espace d’épanouissement à la fois social et culturel s’insèrent dans ces objectifs.
La décision du 17 juin 2016 est une décision de principe qui est susceptible de modifier le comportement d’entreprises en situation de position dominante sur un marché. Le Conseil est ouvert au dialogue avec les entreprises afin de leur garantir un maximum de sécurité juridique lorsqu’elles sont amenées à autoévaluer leur comportement sur le marché.